Après L’Ardeur, La Beauté et Le Courage, le Printemps des poètes 2021 s’empare du Désir dans la continuité de son abécédaire poétique.
« Le désir est l'appétit de l'agréable » évoquait Aristote, tandis que Spinoza le définissait comme « l’essence même de l’homme ». Magritte quant à lui y voyait un moyen de « s’enrichir de nouvelles pensées exaltantes ». Mais là où « le désir fleurit, la possession flétrit toutes choses » comme l’affirmait Marcel Proust. Ainsi, le désir est une évidence intrinsèque chez l’Homme. Il contribue à son épanouissement, à son bonheur, mais aussi à sa souffrance, à ses turbulences internes.
La 23ème édition du Printemps des Poètes se tiendra du samedi 13 mars au lundi 29 mars 2021. La BU vous invite à visiter l'exposition sur ce thème dans le hall d'accueil et à retrouver une sélection de recueils de poésie au Salon Mots'Art au rez-de-chaussée.
Pour compléter cette manifestation, un voyage poétique vous est proposé pour découvrir la manière dont les poètes d'hier et d'aujourd'hui se sont saisis du désir à travers la sélection de recueils ci-dessous :
Sans cesse,
Au vif de soi
S'amorce le poème,
Miroir de l'instant,
Fragment du désir,
Echo du cri
Creusant l'os jusqu'à la moelle
Transperçant jusqu'à l'âme l'habit
Rouvrant les portes de l'espace
Soulageant les égarements de l'esprit
Le poème
Se rue sur nos pages avides
Explorant à la fois
Toute la flamme
Et toute l'eau.
extrait de Au cœur du cœur : poèmes par Andrée Chedid (p. 68)
Image : La poésie : [estampe] par Gilles Demarteau, François Boucher - Gallica / Bibliothèque Nationale de France
Le pur sang ravi à la roseraie
Frôleuse mentale en flambeau
Si juteuse le crin flatté
L'odorat surmené à proximité d'une colonie de délices
Hèle les désirs écartés
Empire de la rose déshabillée
Comme gel sous l'eau noire sommeil fatal crapaud.
extrait de Le Marteau sans maître par René Char (p. 83)
Image : Le Désir : [estampe] par N.J. Voiez, Lebrun - Gallica / Bibliothèque Nationale de France
Naître avec le printemps, mourir avec les roses ;
Sur l'aile du zéphyr nager dans un ciel pur ;
Balancé sur le sein des fleurs à peine écloses,
S'enivrer de parfums, de lumière et d'azur ;
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S'envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté :
Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté.
extrait de Méditations poétiques, Nouvelles méditations poétiques par Lamartine (p. 331)
image : Le papillon : douze maquettes de costumes par Alfred Albert - Gallica / Bibliothèque Nationale de France
Aimables les vieux.
Les jeunes ça bout.
L'amour aveugle ça se peut.
Le désir pas du tout.
extrait de Le livre du désir par Leonard Cohen (p. 179)
Image : Vieille dame assise dans le salon, Lardenne, Haute-Garonne par Eugène Trutat
Gallica / Bibliothèque Nationale de France
Désire peu : tu auras tout.
Ne désire rien : tu es libre.
L’amour même que l’on pourrait
Nous porter, nous réclame, nous opprime.
extrait de Poèmes païens par Fernando Pessoa (p. 231)
Lune impudique à ta lumière tout à coup
Cette ombre où Apollon sommeille s'en revient
A d'incertaines transparences.
Le songe rouvre ses yeux magiques,
Il brille à une haute fenêtre.
Que de lui s'envole un désir,
Quand il aura touché la terre
Il incarnera la souffrance.
extrait de Vie d'un homme par Giuseppe Ungaretti (p. 133)
image : Le songe d'Apollon (?) par Lotti Lotto - Gallica / Bibliothèque Nationale de France
Bizarre déité, brune comme les nuits,
Au parfum mélangé de musc et de havane,
Œuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits,
Je préfère au constance, à l'opium, aux nuits,
L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane ;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.
Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
Ô démon sans pitié ! verse-moi moins de flamme ;
Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,
Hélas ! et je ne puis, Mégère libertine,
Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine !
extrait de Les Fleurs du mal par Charles Baudelaire (p. 60)
image : L'amour frivole : [estampe] par Jacques Firmin Beauvarlet, François Boucher - Gallica / Bibliothèque Nationale de France
J'espère et crains, je me tais et supplie,
Or', je suis glace et ores un feu chaud,
J'admire tout et de rien ne me chaut,
Je me délace et mon col je relie.
Rien ne me plaît sinon ce qui m'ennuie ;
Je suis vaillant et le cœur me défaut,
J'ai l'espoir bas, j'ai le courage haut,
Je doute Amour et si je le défie.
Plus je me pique, et plus je suis rétif,
J'aime être libre, et veux être captif,
Tout je désire, et si n 'ai qu'une envie.
Un Prométhée en passions je suis :
J'ose, je veux, je m'efforce, et ne puis,
Tant d'un fil noir la Parque ourdit ma vie.
extrait de Les amours par Pierre de Ronsard (p. 29)
image : Portrait de femme à la rose - Photo (C) RMN-Grand Palais par René-Gabriel Ojéda - Musée du Louvre
Présentation de l’ouvrage Le désir : aux couleurs du poème publié à l'occasion de la 23e édition du Printemps des poètes. Cette anthologie rassemble des poètes français et étrangers contemporains qui offrent des couleurs à la vie sur le thème du désir grâce à leur art poétique : « un désir blanc de silence, d’absence et d’éternité ; un désir jaune de fraîcheur, d’éveil et de rayonnement ; le rouge désir des lèvres qui s’unissent et du sang qui pulse en nos veines ; un désir bleu de voyage, d’espace et de mer ».
Qu'après une jouissance insipide
Humiliée, amère et sans lumière
Je me ressaisisse et me reprenne,
Me redonne un peu d'estime.
Je suis un fleuve
Avec des vagues qui cherchent les rives,
L'ombre des buissons sur le sable,
La chaleur des rayons du soleil,
Ne serait-ce qu'une seule fois.
Mais mon chemin est sans pitié.
Sa pente me pousse vers la mer.
Grande, sublime mer !
Je ne connais pas d'autre souhait
Que de m'engloutir en me répandant
Dans la plus infinie des mers.
Comment un désir
De saluer des rives plus douces
Peut-il me retenir
Tant que du sens ultime
Je connais l'existence !
extrait de Toute personne qui tombe a des ailes par Ingeborg Bachmann (p. 49)
image : La grande vague de Kanagawa par Hokusai Katsushika - Gallica / Bibliothèque Nationale de France
Une volute bleue, une pensée exquise
Montent l'une sur l'autre en un accord secret
Et l'état rose tendre qu'un globe tamise
Noie un parfum de femme dans un lourd regret.
Le lent lamento langoureux du saxophone
Égrène de troubles et indistincts accords
Et son cri rauque, saccadé ou monotone,
Réveille parfois un désir qu'on croyait mort.
Arrête Jazz, tu scandes des sanglots, des larmes
Que les cœurs jaloux veulent garder seuls pour eux,
Arrête ton bruit de ferraille. Ton vacarme
Semble une immense plainte où naît un aveu.
extrait de Poésie africaine par Birago Diop (p. 43)
image : Le bal : [estampe] par Alice Ballyt - Gallica / Bibliothèque Nationale de France
Au printemps, les orchidées sont couvertes de feuilles luxuriantes
En automne, les canneliers sont en fleurs brillantes
Les unes et les autres se plaisent à leur exubérance
Chacun apprécie sa propre saison d'espérance
Ils ne savent rien des gens de la forêt
Le parfum apporté par le vent les comble d'allégresse
Les herbes comme les plantes ont leur propre nature
Elles ne désirent pas que les belles filles viennent les cueillir
extrait de Les plus beaux poèmes lyriques de la dynastie des Tang par Shi Bo (p. 34)
image : Orchidée orange par Katsushika Hokusai - Photo (C) RMN-Grand Palais (MNAAG) par Thierry Ollivier
Mal de vivre et chagrin. Personne à qui tendre la main
Aux pires instants des destinées...
Désirs !... Mais à quoi bon, constants désirs sans lendemain ?
Et passent les années, les meilleures années.
extrait de Poésies choisies par Lermontov (p. 75)