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Littérature: La BU s'anime

Guide des collections en littérature de la BU d'Evry

Printemps des Poètes 2023 : Frontières

Le Printemps des Poètes offre chaque année une immersion poétique à travers un abécédaire. Après l’Ardeur, la Beauté, le Courage, le Désir, l’Ephémère, l’édition 2023, du 11 au 27 mars, abordera la thématique des Frontières. Sophie Nauleau explique, sur le site du Printemps des Poètes, qu’initialement, le thème s’orientait vers davantage de légèreté fantaisiste, mais le conflit russo-ukrainien, au cœur de l’actualité depuis une année, bouleverse toutes les consciences. La notion de frontière(s) s'est ainsi imposée comme une évidence. Elle ajoute que "c’est cet au-delà des frontières qu’il est temps de questionner, ce monde qui rassemble, étonne, dépayse, plus qu’il ne sépare. Ces limites qu’il nous faut constamment repousser. Ce danger qu’il nous faut conjurer." Les poètes ont transcrit à travers leurs proses la violence de la guerre et ses conséquences comme le chaos, l'exil, la souffrance, la sidération, l'horreur. Paradoxalement, si les frontières sous-entendent une séparation, elles peuvent aussi créer du lien, avec l'espoir d'une autre rencontre, celle de la liberté, de la reconstruction, de l'apaisement.

La notion de frontières, à la fois comme séparation et lieu de passages et d’échanges, dépasse aussi largement la géopolitique et les territoires. Il existe aussi des frontières historiques, esthétiques, linguistiques, ethniques, sociales, de genre, imaginaires… Les domaines artistiques (littérature, musique, peinture, arts vivants, cinéma...) explorent cette dualité séparation / liberté, œuvrant ainsi à la conservation et la transmission de la mémoire collective. Les arts peuvent aussi être considérés comme un espace de totale liberté dans lequel il n’y a ni frontières, ni limites. Ainsi, parce que les mots traversent les frontières, les poètes s'en emparent indiscutablement. Ils démontrent que la poésie a toujours témoigné librement des enjeux sociétaux.

La BU participe à cet évènement et vous invite à visiter l'exposition sur ce thème dans le hall d'accueil et à retrouver une sélection de recueils de poésie au Salon Mots'Art au rez-de-chaussée.

Pour compléter cette manifestation, un voyage poétique vous est proposé pour découvrir la manière dont les poètes d'hier et d'aujourd'hui se sont saisis de la notion de frontière(s) à travers la sélection ci-dessous :

  • Recueils contemporains et classiques de poésie française et étrangère, accompagnés de poèmes et d'illustrations ;
  • Focus sur le poème « Strophes pour se souvenir » de Louis Aragon, mis en musique par Léo Ferret sous le titre « L'affiche rouge » et nouvellement interprété par les Feu! Chatterton, jeunes artistes auteurs/compositeurs, lors leur tournée. La poésie s'épanouit avec génie chez eux, engagée et ornée de références littéraires. Ils aiment aussi mettre en musique, à l'instar de Léo Ferret, des poètes tels que AragonYeats ou encore Prévert. La poésie s'invite ainsi dans leur univers jusque dans le choix de leur nom de scène : juxtaposition de l'expression Feu! et de Chatterton, en hommage au poète Thomas Chatterton. 

Recueils de poésie française

[...] Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le cœur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon [
...]

 

Crédit : « Thistle, Chardon, Die Distel »

Frontières
Qui a promis la terre promise ?
Dieu avait plus d'un slogan dans son sac à prophéties
et plus d'un rêve de sang en lieu de lait et de miel.

C'est une malédiction moderne qui a imposé
des bornes et des barrières aux horizons nomades,
aux horizons que les caravanes empruntaient à leur guise,
à leur rythme, à leurs risques et périls certes,
mais librement, librement.

Pitié pour nous qui combattons
toujours aux frontières
De l’illimité et de l’avenir

Art Attack - Banksy - Palestine mur près de Qalandiya - 2005
Crédit Wikimedia Commons

La liberté sublime emplissait leurs pensées.
Flotte prises d'assaut, frontières effacées sous leur pas souverain,
O France, tous les jours, c'était quelque prodige,
Chocs, rencontres, combats ; et Joubert sur l'Adige,
Et Marceau sur le Rhin !

Crédit : Domaine public
François Séverin Marceau-Desgraviers (1798)

Je te rejoins en ardente solitude
Je t'invente un nom sanyasin
Au vrai de son silence je t'invente

Je te rejoins à pas démesurés
Sur mon honneur
Je te prédis l'ivresse de banquets faméliques

Je te rejoins par-delà les frontières
Je te bâtis un abandon
À l'étiage du lac Birenda

[...] Tu tâtonnes dans la nuit, les ombres se sont exilées vers des aubes incertaines.
Tu te situes loin des frontières, à l'écart de ce qui fut, de toi qui fais mine
de connaître ta route alors que tu as perdu tes cartes et tes pas. [...]

Ibadan
La nuit arme son lumignon
La rumeur bleuit aux frontières
Voyez, les Ibos se laissent mourir

Je vous dédie à boire dix-mille
SI vous levez là sans trembler
Le pieu roui du prophète Congo

 

 

 

Crédit : domaine public
Trois femmes Igbo au début du XXe siècle

Les douaniers

Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache,
Soldats, marins, débris d'Empire, retraités,

Sont nuls, très nuls, devant les Soldats des Traités

Qui tailladent l'azur frontière à grands coups d'hache.

Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés,
Quand l'ombre bave aux bois comme un mufle de vache,

Ils s'en vont, amenant leurs dogues à l'attache,

Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés ! [...]

Vous vivez au présent composé, emplis de rêves et de tendresse
vous passez les frontières, admirez les déserts, gravissez les montagnes

recherchant à la fois la Cythère, et l’Ithaque où il vous faut aller

pour tout recommencer.

Crédit Pèlerinage à l’île de Cythère, Antoine Watteau - 1717

Le mot frontière est un mot borgne ; L’homme a deux yeux pour voir le monde.

Crédit JR - Paris

[...] Quant au soleil, un Soleil de frontière ;
Il cherche le poteau-mitan autour duquel faire tourner pour qu’enfin l’avenir commence. [...]

Crédit Mydogsighs

Arbres du silence
Invisibles présences auxquelles nous restons étrangers,
simples passants à la frontière des mots.
Nous voyons et nous ne voyons pas.
L'essentiel nous échappe.
N'être plus qu'un fragment d'instant sève et écorce,
retour à l'extrême simplicité, l'absence de soi.
De l'émouvante évidente de l'arbre,
un infranchissable seuil nous sépare.

« Strophes pour se souvenir » de Louis Aragon

Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans


Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants


Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents


Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand


Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan


Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant


Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.

Recueils de poésie étrangère

[...] Petit frère, la vie n'est rien qu'une frontière
A tous ces souhaits qui vont et viennent en ton coeur.
Tu es ravi d'un petit instant de bonheur
Et tu ne fais que fuir de misère en misère,
Qu'errer, homme assoiffé en quête d'un mirage
Dans l'étendue immense et vide du désert :
Tu cherches le salut et la source se perd,
Tu veux avoir fortune, joie, et de ravages,
Tu ne sais que rêver de richesse, et jouer,
Quand la richesse vraie est d'accepter le sort,
Quand le plus grand des biens, si tu veux le gagner,
Se trouve auprès de Dieu, qui garde le trésor.

Un coq chante au loin,
distant, sur la frontière
difficile de l'ombre.
Toujours, toujours.
Et je me recommande à la lumière.



Crédit Claude Aubriet

Carnet ligné, Coq

Celui-ci, labourant tantôt son maigre champs,
Et tantôt, solennel, le regardant avec les yeux
D'un père envers son fils, sans la penser jouit,
Inconscient, de la vie.
Le bouleversement des frontières fictives
Ne le détourne pas de son araire, et peu lui chaut
Selon quel bon plaisir est réglé le destin
Des peuples éprouvés.
A peine plus dans le présent de l'avenir
Que les herbes qu'il arracha, il vit confiant
Sa vieille vie sans détour, qui vient durer en
Ses enfants, différente et sienne.

Le jour se lève aux confins de l'oreiller
et quelque chose halète tout près, peut-être
un ultime râle collé à la chair,
l'exhalaison toujours ennemie
de l'ennui qui s'installe
parmi les objets transitoires de la nuit.

Réveille-toi, il fait jour, regarde les restes du naufrage
brusquement dispersés à la frontière vitreuse de l'insomnie.

Vers Vienne
Le couvent baroque d'écume et de biscuit
ombrageait un plan d'eaux lentes
et de tables dressées, çà et là parsemées
de feuilles et de gingembre.

Un nageur émergea, ruissela
sous une nuée de moucherons,
nous questionna sur ce voyage,
parla longuement du sien outre-frontière.

Sur l'amour.

La mort n'en est pas le terme.
Il est une hiérarchie qui se peut atteindre, je pense, à son service.
Une fleur magique est sa récompense ; un chat qui aurait vingt vies.
Si nul ne venait à l'éprouver le monde y perdrait.
Cela a été pour toi et moi comme de regarder un orage
avancer sur les eaux. Nous sommes demeurés année après année
mains jointes face au spectacle de nos vies. L'orage se déploie.
L'éclair jour aux frontières des nuages.

Comme descendait la nuit, la nuit la nuit tout entière,
les gitans à leurs enclumes forgeaient flèches et soleils.
Un cheval ensanglanté frappait aux portes muettes.
Des coqs de verre chantaient à Jerez de la Frontière.
A l'angle de la surprise le vent nu tourne soudain
dans la nuit d'argent de nuit, la nuit la nuit tout entière

Les amoureux
[...] Les amoureux passent à la déraison
parce que seuls, ils sont deux, deux, deux,
ils se livrent, se donnent, à chaque instant,
et se récrient de ne pas sauver l'Amour.
L'Amour les dévore. Les amoureux vivent
d'instants, impuissants à dépasser
les frontières du temps. [...]

Crédit : Gustav Klimt, Le Baiser, 1908-1909
©Wikimedia Commons

La flamme
Ce n'est pas un jeu de compagnie, de compagnons ; Que savait la Provence,
Ce n'est pas un jeu de troc, de terres et de maisons ; Que savait la Provence,
Nous qui sommes sages par-delà vos rêves de sagesse
Buvons nos moments immortels : nous "passons".
Nous avons brisé vos liens, vos frontières, La Provence le savait. [...]

Le squelette de flûtes des morts
passé soudain au-delà de la frontière
l'alphabet de l'esprit à l'écoute du silence luit
Ici, devant, cendre de l'effroi, legs -

Crédit : Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple

Depuis longtemps est mort l'ambassadeur des Han, Su Wu
Son vieux temple et les grands arbres sont laissés à l'abandon
Dans le ciel des Hu les oies sauvages traversent les nuages au clair de lune
Les moutons rentrent du pâturage dans des collines frontières brumeuses
Au jour de son retour, la terrasse impériale n'est plus là
Alors qu'il était parti dans la force de l'âge
Muni d'un bonnet et d'une épée d'ambassadeur
L'empereur Wudi, au repos dans le mausolée Maoling
Ne peut assister à l'octroi de son titre de noblesse
Les larmes se joignent aux vagues d'automne
Déplorant le temps qui passe

Avant la nuit
Avant la nuit, une pensée de toi pour toi, avant que je ne tombe
Dans le filet blanc des angoisses, et la promenade aux frontières
Du rêve du désir avant le crépuscule, parmi les gazelles des sables
Pour ressusciter le poème au royaume d'Enfance. [...]

Crédit : Le rêve - Pauline Bailly 

 

La frontière
Ce que je vis d'abord ce fut des arbres, des ravins décorés de fleurs belles et sauvages,
un territoire humide, des forêts en feu et l'hiver en crue derrière le monde.
J'eus pour enfance des souliers mouillés, des troncs brisés
tombés dans la forêt, dévorés par les lianes et les scarabées,
j'eus des journées douces sur l'avoine, et la barbe dorée de mon père partant
pour la majesté des chemins de fer. [...]

Tout se perd, tout est jeté au loin.
Le monde se transforme en poudre
en sable que les condamnés aperçoivent
avant que leur nuque ne le frappe.
De nouveau des convois à l'orient, des troncs
qui brisent les roues aux frontières
de nouveau des cohortes de gens
avec des pierres dans les poches congre le vent.
Rien que des bruits sourds, des cris
Comme à l'aube d'une chasse et
clouées dans les forêts les listes des morts.

 

« Strophes pour se souvenir » et « l'Affiche rouge »

Aragon a écrit le poème « Strophes pour se souvenir » en 1955 pour rendre hommage aux immigrés résistants FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée) du groupe Manouchian, fusillés au Mont Valérien le 21 février 1944 durant l'Occupation, quelques mois avant la Libération de Paris.

Léo Ferré a honoré en musique ce poème et l'a chanté en 1959 sous le titre « L'Affiche rouge ». Cette affiche de la propagande raciste de Vichy et de l'occupant allemand montre les portraits des fusillés comme des gangsters étrangers clandestins.

« L’Affiche rouge » résonne cruellement avec le contexte russo-ukrainien actuel.

Elle a inspiré le groupe Feu! Chatterton qui en a proposé une version bouleversante lors de leur dernière tournée en 2021 et 2022. Arthur Téboul, le chanteur, évoque cette reprise dans un entretien du journal l’Humanité en avril 2021 : « Nous chantons tous les soirs l’Affiche rouge et, chaque fois, nous éprouvons la même émotion, en totale communion avec le public. C’est particulièrement réconfortant alors que l’on observe la montée de l’extrême droite en France et aux quatre coins du monde et que la guerre a éclaté à nos portes. […] La situation prévalant de nos jours nous rappelle, soixante-dix-huit ans après, l’actualité aiguë de ce texte ».